"Nous ne sommes pas complètement déçus de la COP 22, mais nos attentes étaient largement supérieures", Espen Ronneberg

Publié le 27 novembre 2016

Espen Ronneberg est le conseiller climat du programme régional environnemental des îles du pacifique. Il est originaire de l’île de Samoa. Il a fait partie des délégués lors des négociations à la COP22. Espen Ronneberg a répondu aux questions des globes-reporters Emma, Karla, Logan, Lucas, Justine et Léo du collège Jean Rostand à Licques, ainsi qu’à celles De Nawel, Anatole, Fiza , Clothilde et Raphaël du Collège Jean-Baptiste Poquelin à Paris.

La biodiversité dans tous ses états


Espen Ronneberg à la COP 22 à Marrakech. 

 

Un an après la COP 21, quelle est la situation des petits états insulaires face à la montée du niveau des océans ?

Après la COP21, il y a eu une vague d’optimisme et d’enthousiasme due à l’accord sur les 1,5 degrés. Nous étions repartis très positifs et plein d’espoirs. Maintenant, le défi porte sur le fait de mettre en action ce qui a été décidé, que ce soit sur la limitation des émissions de gaz à effet de serre, mais aussi, sur l’aide apportée aux îles du Pacifique pour se protéger des effets du changement climatique dont nous sommes directement victimes. C’est un défi énorme mais mon organisation vise justement à aider les différents État de la région à mettre en œuvre les accords de Paris. 

Que pensez-vous des accords de Paris ? Est-ce suffisant pour limiter les effets du réchauffement climatique ?

Le plus important déjà est d’avoir réussi à passer cet accord. Tous les État signataires sont liés par cet accord même si, et nous le savons bien, tous les État ne font pas les mêmes efforts, et n’ont pas les mêmes ambitions en matière de réduction des gaz à effet de serre. Nous avons cet accord et cela nous accorde le droit de réclamer plus de ces pays, que ce soit pour les forcer à réduire leurs émissions, mais aussi pour nous aider financièrement à nous adapter et nous protéger des conséquences du changement climatique sur nos îles. C’est très important d’avoir cet accord en vigueur car dans le passé c’est justement ce qui nous manquait.

Les médias ont beaucoup parlé de votre situation lors de la COP 21, est-ce que cela vous a aidé à mieux faire avancer votre cause ?

Évidemment. Je pense que cela a été très utile d’avoir notre histoire diffusée dans l’arène médiatique, ainsi, les citoyens de tous les coins du monde ont pu prendre conscience du fondement de nos inquiétudes. Mais aussi, nous avons été beaucoup aidés par les journalistes venus des îles du Pacifique et présents à la COP 21. Ils ont su mettre des mots sur notre histoire et la diffuser à une plus large audience. Donc oui, le rôle des médias a été très bénéfique pour notre combat.

Quelles sont vos attentes pour la COP 22 ?

Pour être honnête, nous nous attendions à plus. En réalité, nous avons été surpris de voir les accords de Paris entrer en vigueur si rapidement. Cela nous a pris de cours dans la préparation de la COP 22. Nous sommes un peu déçus pour le moment, beaucoup des points abordés ont été repoussés à l’année prochaine. Donc 2017 va être une nouvelle année chargée pour nous. Nous espérions obtenir plus de propositions concrète de financement. Il reste encore deux jours, peut-être qu’un miracle va se produire avant la fin des négociations… Mais nous avons fait notre possible pour faire connaître nos revendications sur le plan international. Nous avons eu quand même quelques annonces intéressantes émises par des agences de développement et d’autres partenaires. Nous espérons encore obtenir plus de soutiens dans les années à venir. Pour résumer, ce n’est pas que nous sommes complètement déçus de cette COP 22 mais nos attentes étaient supérieures.

Question bonus : Quel miracle attendiez-vous concrètement ?

Une des choses que nous aurions voulu voir se concrétiser concerne le financement du fonds d’adaptation. Nous espérions que ce fonds d’adaptation soit intégré dans le programme de financement décidé lors de la COP21. Nous avons de bons résultats avec les actions menées grâce à ce fonds.

Comment travaillez-vous avec les autres État insulaires ?

Nous avons une longue tradition de coopération régionale dans le Pacifique, voilà pourquoi nous avons un certain nombre d’institutions régionales dédiées à différents domaines importants. Cet esprit de coopération a toujours existé et cela nous aide à travailler avec d’autres îles encore plus éloignées dans les Caraïbes et dans l’océan indien à travers l’Alliance des Petits État Insulaires (Alliance of Small Islands States). Dans le Pacifique, d’un point de vue concret, nous travaillons beaucoup à travers des projets et des programmes régionaux. Nous partageons les informations et les expériences. Il y a des représentants des projets et des programmes dans les différentes îles. Nous organisons aussi des sessions de formation. Par exemple, pour la COP22, nous avons organisé deux sessions d’entrainement aux négociations pour chacune des délégations insulaires. Nous y avons établi quels seraient les messages clefs que nous voulions faire passer en tant que groupe, et quels seraient les messages clefs que chaque île, individuellement, voulait appuyer. Le défi est d’ordre logistique car il est parfois difficile de tous se réunir car les distances entre les différentes îles sont parfois très longues, et il n’y a bien souvent pas de vols directs.

Parvenez-vous à trouver des solutions communes pour mieux faire face aux conséquences du réchauffement climatique ?

Oui ! C’est là la beauté de travailler ensemble : si un Etat trouve une solution pour lui-même, cela a forcément un écho pour un autre Etat. Et, les solutions peuvent ainsi être partagées et plusieurs État peuvent bénéficier du même succès. Nous coopérons beaucoup, et nous apprenons des uns et des autres.

Question bonus : Quelle sont les principales menaces auxquelles vous devez faire face ?

Il y en a beaucoup. Quand nous parlons des menaces liées aux changements climatiques de manière générale, il y a la montée du niveau de la mer, la diminution des précipitations, et la plus grande fréquence des phénomènes climatiques extrêmes comme les typhons et les ouragans. Au niveau local, nous observons quelques différences. Par exemple, Kiribati, Tuvalu et les îles Marshall sont menacées de disparition car elles se situent à peine quelques mètres au-dessus du niveau de la mer. Pour elles donc, le changement climatique est un problème d’ordre existentiel. Mais avant même que la montée du niveau de la mer soit un problème pour nous, la baisse des précipitations a été le premier défi à relever. Nous sommes entourés d’eaux salées, donc nous ne pouvons compter que sur la pluie pour alimenter nos besoins en eau douce. Notre agriculture dépend exclusivement des précipitations. Et si nous ne pouvons plus cultiver, nous sommes directement en danger. Ensuite, l’acidification des eaux entraîne des phénomènes de migrations chez certaines espèces de poissons. Or la pêche est un des secteurs d’activité majeurs pour nos îles. Cela affecte directement l’économie. Il y a donc toute une série de menaces auxquelles les îles doivent faire face, mais en travaillant tous ensemble, nous pensons que nous pouvons trouver des solutions. Mais nous avons besoin d’aide car nous ne pourrons pas réussir seuls.

La population est-elle prévenue du danger de la hausse du niveau de l’eau et comment réagit-elle ?

Il y a une grande conscience des dangers. Les gens savent car ils voient les effets dans leur vie quotidienne. Là où il y a un manque de savoirs, c’est concernant les solutions. Certaines communautés ont par exemple mis en place ce qu’elles pensaient être des solutions, mais en réalité, sur le long terme, les bénéfices de ces solutions s’avéraient nulles. Par exemple, la construction de digues : il ne suffit pas de construire une digue pour régler le problème de la montée des eaux. D’autres facteurs et impacts doivent être pris en compte. Nous avons aussi besoin d’éduquer les habitants sur l’importance de protéger la végétation des côtes, et notamment les mangroves, les algues qui sont en fait des solutions naturelles pour protéger le bord de mer. Donc je dirais qu’un effort doit être fait pour faire prendre conscience aux gens des solutions qu’ils peuvent mettre en place.

Est-ce que toutes les îles sont touchées de la même manière ?

Toutes les îles sont touchées. Il y a certes, pour celles dont les territoires sont au même niveau que la mer, une plus grande vulnérabilité. Pour une île comme Samoa par exemple, la majorité des activités économiques et marchandes du pays se trouvent sur la côte. Or, il n’est pas vraiment faisable de déménager l’ensemble de ces activités à l’intérieur des terres. Ce serait beaucoup trop cher, je parle par exemple des aéroports, des banques, des immeubles du gouvernement, etc… D’autant plus que les terres appartiennent à des personnes, à des familles, et on ne peut pas exproprier les gens de leurs terres juste pour déplacer les banques, les immeubles et les aéroports.

Les gouvernements des îles ont-ils investi pour prévenir les risques et essayer de les limiter, comme le Pays-Bas a pu faire par exemple ?

Bien sûr, tous les gouvernements de la région ont investi sur leur territoire pour limiter les risques et essayer de mettre en place des solutions. Ils investissent aussi dans les énergies renouvelables et dans des mesures de protection des zones côtières, tout cela dans le but de prévenir les effets. Mais, le changement climatique n’est en rien causé par les petits État insulaires du Pacifique. Oui, nous émettons des gaz à effet de serre mais, pour toutes les îles réunies, cela s’élève à 0, 03% des émissions mondiales… or nous sommes les premières victimes de ses effets. Donc ce n’est pas juste de demander aux État insulaires d’utiliser leurs propres ressources, aussi limitées soient-elles, pour investir dans la prévention des risques climatiques, alors qu’ils ont besoin d’investir dans l’éducation, les services de santé, la politique sociale, etc.

Quel est le coût estimé du réchauffement climatique pour votre région ?

Nous n’avons pas de chiffres globaux. Certains pays ont calculé le coût des plans d’adaptation en cours. Calculer un tel coût suppose de savoir exactement ce que les conséquences du changement climatique vont être. Or c’est très difficile de prévoir, d’autant plus que, si les accords de Paris n’aboutissent pas à contenir l’augmentation des températures à 1,5°C, nous ne savons pas du tout quelles seront les conséquences. Mais les effets seront bien pires que ceux que nous attendons aujourd’hui. Et si les accords de Paris suffisent à tenir la barre des 1,5°C, il reste difficile de prévoir les changements avec exactitude. Les budgets requis pour les plans d’adaptation en train d’être élaborés seront donc peut-être revus à la hausse.

Concernant les migrations, où vont être accueillis les migrants climatiques ?

La question des migrations est très controversée. Ce n’est pas un domaine sur lequel la région a une position unifiée, excepté sur le fait que les migrations doivent être le dernier recours. Certains État essaient de prendre le sujet avec dignité, pendant que d’autres se battent pour interdire les migrations sur leurs sols. Il y a aussi des différences dues aux histoires coloniales de chacun. Certaines îles ont des accords avec leurs anciennes puissances coloniales, alors que d’autres non. Ce qui complique encore le problème.

Question bonus : Est-ce que les migrations ont déjà commencé ?

Il y a eu des déplacements de population internes dans certaines îles telles que Vanuatu et les Fiji. Mais les déplacements étaient très localisés. Les communautés sont restées dans le même secteur. Par exemple, à Vanuatu, la communauté a été déplacée de 500 mètres vers l’intérieur des terres pour les éloigner des vagues qui inondaient les cultures. Cela n’a donc pas représenté un changement radical dans leur mode de vie. D’autres cas de migrations ne sont pas aussi positifs. Certaines communautés ont dû être déplacées dans des lieux très différents de ceux où elles vivaient. Or, vous ne pouvez pas déplacer des communautés dans des lieux où le mode de vie est différent, où ils ne peuvent plus planter les cultures dont ils avaient l’habitude de cultiver, où ils ne peuvent plus pratiquer la pêche qu’ils avaient l’habitude de pratiquer. Les migrations climatiques sont un problème majeur auquel nous allons devoir faire face.

Combien de personnes seront concernées ?

La population globale dans le Pacifique est de dix millions de personnes. Mais il ne faut pas mettre le nombre de personnes concernées dans l’équation ou l’on va commencer à voir des analyses et des calculs de coûts/bénéfices pour savoir s’il ne serait pas plus rentable de déplacer dix millions de personnes plutôt que d’agir pour limiter les changements climatiques. Ce n’est pas juste. Que 100 personnes ou dix millions soient concernées, peu importe, le résultat est que nous sommes victimes d’un phénomène dont nous ne sommes pas responsables.

Recevez-vous de subventions des autres pays ou de l’ONU ?

Oui, il y a par exemple un programme initié par la Suisse, la Norvège l’ Allemagne pour l’aide aux migrants. Mais nous aider est complexe car il faut prendre en compte tous les problèmes économiques, sociaux et culturels qui vont se créer.

Quels secteurs d’activités vont-être le plus touchés ?

Les activités économiques qui se trouvent sur les zones côtières sont les plus touchées pour le moment en raison de la montée du niveau des eaux et de l’érosion. L’agriculture est aussi gravement concernée : dans certaines îles, il y a des problèmes de sécheresse à cause du dérèglement des précipitations, alors que dans d’autres, les cultures sont régulièrement inondées. De plus, avec la montée du niveau de la mer, les eaux salées envahissent peu à peu les ressources en eau de source. La salinisation des eaux douces est une menace très sérieuse pour la survie des populations. S’il n’y a plus d’eau douce pour boire, ou pour irriguer les champs, il n’y a plus de vie.

Question bonus : quel est votre message pour les globe-reporters ?

Ce serait super si les globe-reporters faisaient connaître leur soutien aux jeunes du Pacifique notamment au travers de leurs réseaux. Mon organisation a, à ce sujet, un réseau de jeunes ambassadeurs, et je serais ravi de vous aider pour vous mettre en contact avec eux.