Sayida Ounissi ; jeune, femme et députée du parti Ennahda

Publié le 15 février 2015

Sayida Ounissi, députée des Tunisiens de France, incarne le renouveau du parti politique Ennahda. Sayida répond aux questions des globe-reporters du lycée Philippe Lamour de Nîmes.

Economie, histoire et politique

Pourriez-vous vous présenter s’il-vous-plaît ?

​Je suis Sayida Ounissi, j’ai 28 ans. J’ai suivi des études d’histoire et de science politique et je mène une thèse en science politique. Je suis députée à l’Assemblée Nationale tunisienne où je représente la circonscription France Nord. La Tunisie, comme la France, a des députés qui représentent les citoyens vivants à l’étranger. En Tunisie, nous avons près de 10 % de la population qui vit en dehors du territoire.

J’étais réfugiée politique en France pendant la dictature de Ben Ali et j’ai eu la possibilité d’aller et revenir dans mon pays après la fuite de Ben Ali.

Avez-vous l’impression que la population tunisienne est consciente de l’enjeu du résultat des précédentes élections pour l’avenir du pays ?

​Oui et non.

Oui parce qu’une partie importante de la population est consciente de l’enjeu, s’est engagée pour la campagne et s’est déplacée pour aller voter. ​Plusieurs manifestations et événements ont eu lieu durant les deux campagnes, législatives et présidentielles. Les associations organisaient des rencontres entre les candidats, même en France.

Non parce que le taux d’abstention était élevé (60% en moyenne) et qu’on entendait beaucoup de jeunes dire que voter n’avait aucune utilité. Finalement, c’est surtout les femmes et les personnes âgées qui se sont déplacées. Un défaitisme lié à la lenteur du changement constaté ces trois dernières années est l’une des causes principales de l’abstention. Mais attention, cela ne signifie pas forcément que les jeunes se moquent de tout. Plutôt qu’ils pensent souvent que l’offre politique ne leur correspond pas et que "changer les choses" peut passer par d’autres moyens.

Des rumeurs disent que certains partis en compétition lors des élections de 2014 achetaient des voix, est-ce vrai ?

​Non ce n’est pas vrai.

L’ISIE (Instance supérieure indépendante des élections) qui est la police des élections avait un système assez performant de surveillance pour s’assurer que des actes pareils ne se produisent pas. Il y a pu y avoir des irrégularités, comme des candidats qui étaient présents dans les queues d’attente et qui tentaient de convaincre les citoyens, ou des affiches dans des lieux qui devaient rester neutres, ou encore des candidats qui ont pu promettre monts et merveilles à leurs électeurs, mais rien qui puissent avoir une incidence majeure sur les résultats du vote.

Sayida Ounissi

Si le parti Ennhadha avait gagné les élections, aurait-il continué dans le chemin de la liberté et de la démocratie en Tunisie ?

​Bien sûr. Quand nous avons gagné les élections en 2011, nous nous sommes engagés dans le chemin de la liberté et de la démocratie.

Dans le programme aux élections en 2014, nous nous sommes engagés pour continuer à réformer les institutions publiques pour qu’elles correspondent aux exigences inscrites dans la Constitution. Nous avons, depuis le début de la Révolution, milité dans le sens d’une démocratisation de l’État tunisien et avons permis l’écriture d’une constitution progressiste en impliquant le maximum d’acteurs possibles, dont la société civile et les partis de l’opposition.

Le parti Ennahdha a t-il quitté le pourvoir en 2014 poussé par la rue ou a-t-il souhaité partir de lui-même ?

​Nous avons quitté le pouvoir en Janvier 2014 car nous considérions que c’était la meilleure solution pour le pays pour préserver la paix civile et permettre à un gouvernement constitué de technocrates (personnes choisies pour des compétences reconnues) de gérer les affaires courantes et d’organiser les élections.

Il était plus important pour nous de ne pas faire sombrer le pays dans la violence comme en Égypte, en Libye ou en Syrie que de se cramponner au pouvoir. Permettre l’organisation des élections où tous les partis politiques auraient la possibilité de se présenter était primordial. Il fallait renouveler la légitimité électorale des acteurs en présence et nous voulions relever le défi une seconde fois.

Le parti Ennahdha a-t-il perdu de sa popularité ?

​Je crois que nous avons perdu notre caractère de parti nouveau envers lequel il y avait beaucoup de curiosité et d’intérêt. Malgré notre nouvelle position de second parti (nous avons fait 30% des suffrages ce qui est un nombre important) prouve qu’il y a une part importante de la population tunisienne qui soutient Ennahdha.

Le parti Ennahdha n’avait pas de candidat à la présidentielle de 2014. Regrette-t-il ce choix ? Envisage-t-il de présenter un candidat à la prochaine élection présidentielle ?

​Le parti Ennahdha a choisit de ne pas présenter de candidat à la présidentielle de 2014, parce que nous pensions qu’il était bon d’avancer petit à petit et de ne pas se précipiter dans la course au pouvoir. Nous sommes dans une jeune démocratie et malgré le fait que Ennahdha a été fondé dans les années 70, cela fait uniquement 4 ans que c’est un parti légal qui a le droit d’exister et de participer au jeu démocratique.

Nous pensons toujours, malgré les résultats, que c’est une bonne idée de faire les choses progressivement. Bien sûr, avec la stabilisation du pays et l’enracinement de la démocratie, il n y a aucune raison pour nous empêcher de participer à la prochaine élection présidentielle. Nous avons plusieurs leaders qui pourraient prétendre à la plus haute magistrature.

Ennahda est désormais en seconde position à l’assemblée, va-t-il peiner à faire entendre sa voix ?

​Ennahdha a un groupe parlementaire constitué de 69 députés. Certains d’entre eux ont écrit la constitution, d’autres sont d’anciens ministres, d’autres encore sont brillants dans leur carrière professionnelle (dans les affaires, enseignants universitaires). Ce groupe parlementaire est donc constitué de personnalités fortes qui sauront trouver leur juste place au sein du Parlement.

Pourquoi Ennahda a-t-il accepté un ministère et 3 secrétariats d’Etat dans le nouveau gouvernement aux côté de son rival, le parti Nidaa Tounes qui domine désormais la scène politique ?

​Nous pensons que ​la Tunisie est toujours dans une période de transition qui impose à tous les acteurs politiques de travailler ensemble afin de définir en commun le nouveau modèle politique et institutionnel qui est en train de se mettre en place. Être dans le gouvernement aux côtés de Nidaa Tounes, mais aussi de Afek Tounes, de l’Union Patriotique Libre et de personnalités indépendantes reflète notre volonté de participer à l’effort de construction qui est en cours. Nous avons accepté des charges qui ne correspondent pas à notre poids réel (1 seul ministère et 3 secrétariats d’État) parce que nous voulons aussi garder notre capacité de critique et d’être un garde-fou à chaque fois que cela sera nécessaire.

Est-ce que vos électeurs vous reprochent de collaborer avec Nidaa Tounes, alors que ce parti a fait campagne contre vous et qu’il compte des cadres de l’ancien régime ?

​Il est vrai que la situation dans laquelle nous nous trouvons est originale et nécessite des explications. Avec nos électeurs et nos militants, nous avons pris le temps de discuter en amont de la décision de rejoindre le gouvernement. Notamment au sein du conseil consultatif de notre parti qui est composé de 150 délégué(es) qui représentent l’ensemble des circonscriptions en Tunisie et à l’étranger. Ce débat en interne nous a aidé a expliciter les défis et les enjeux ​à nos électeurs.

Nous préparons aussi notre congrès national, cela nécessite que nous organisions beaucoup de rencontres en interne. C’est des occasions parfaites pour renouer le lien avec nos bases militantes, les entendre et prendre en compte leur avis quand à notre action au sein du gouvernement.

Spot de la campagne de Sayida Ounissi

N’est-ce pas difficile d’être une femme au sein d’Ennahda alors que ce parti a un projet islamiste ? Avez-vous des points de divergence sur la question du rôle de la femme dans la société au sein du mouvement ?

​Ennahdha est un parti qui a depuis le début de sa création donné une place aux femmes. Pendant la période sombre de la répression, les femmes ont été touchées avec la même violence que les hommes. Elles ont donc gagné une place importante dans le parti. Lorsque nous avons abordé la question de l’égalité des droits entre les hommes et les femmes dans la Constitution, il y a une erreur de communication, dont tout le monde parle et qui est relative au fait que certains d’entre nous ont parlé de complémentarité entre les hommes et les femmes et non d’égalité. ​Avec la pression de la société civile en externe et des féministes d’Ennahdha en interne, nous avons décidé d’opter pour la mention de l’égalité entre les hommes et les femmes dans la Constitution.

En tant que précédente majorité au Parlement, nous avons voté pour la parité et avons eu des femmes têtes de listes durant les élections (c’est le poste le plus important pour les candidats). J’étais parmi les femmes têtes de liste, par exemple.

Cependant, la question des droits des femmes en Tunisie, comme dans tous les pays du monde est un challenge permanent et il est indispensable de garder à l’esprit que la lutte pour l’égalité est un combat de tous les jours.

Votre question est très intéressante car elle parle de " projet islamiste ". Mais qu’est ce que véritablement le "projet islamiste" ? Il n’y a pas de projet islamiste comme on peut le comprendre dans certains grands médias généralistes en France. Il y a un parti politique, en l’occurrence Ennahdha, qui est un parti démocrate-musulman, qui croit dans la compatibilité entre valeurs islamiques et démocratie et qui veut prouver que l’on peut prendre le pouvoir par les élections et le perdre par les élections tout en respectant la loi.

De l’avis des spécialistes, la constitution tunisienne est l’une des plus progressistes. Nous avons réussi à écrire un texte auquel peuvent s’identifier tous les Tunisiens parce que nous avons permis à tous de donner leur avis et de s’exprimer. Nous n’avons pas été dans une dynamique de rejet ou de division mais au contraire d’inclusion. C’est ça le projet d’Ennahdha :-)

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