La condition féminine au Liban

Publié le 8 février 2016

Maître Ray R. Yazbek est avocat. Il répond aux questions de Katy et Tracy du lycée Albert Einstein de Sainte-Geneviève-des-Bois, en région parisienne.

Droits humains et solidarité

L’adultère est jugé différemment selon le genre, que pensez-vous de cela ? Qu’est-ce qui est fait pour améliorer cette injustice ?  

Il est vrai que les délits d’adultère ne sont pas punis au Liban de manière équitable pour le mari et la femme. De manière générale, les dispositions du Code pénal libanais ne définissent pas l’adultère. D’après la doctrine et la jurisprudence, il peut être défini comme le fait pour une personne mariée d’avoir intentionnellement des relations sexuelles avec une personne autre que son conjoint. Ces conditions sont indispensables à la constitution de l’adultère de la femme comme de l’homme, néanmoins des circonstances supplémentaires sont exigées pour le mari. La femme mariée qui consomme un acte sexuel avec un autre homme ou entretient des relations continues avec un amant est punie, quel que soit l’endroit où cela se produit. Cependant, le mari adultère ne peut être poursuivi selon l’article 488 du Code libanais, que s’il commet l’adultère dans la maison conjugale, ou s’il entretient des relations continues ou notoires avec une concubine en quelque lieu que ce soit. En outre, jusqu’à son abrogation en 2011, l’article 562 du Code pénal libanais absolvait le crime d’honneur lié à l’adultère et aux rapports sexuels illégitimes. 

Dans le Code pénal libanais, bien que la peine soit l’emprisonnement pour les hommes comme les femmes, la différence relative à la durée de cette peine est presque de moitié. Selon l’article 487, la femme est passible d’un emprisonnement de trois mois à deux ans, tandis que le mari n’encourt qu’un emprisonnement d’un mois à un an, conformément à l’article 488. De même, le sort de la personne co-auteur de l’adultère (l’amant ou l’amante) n’est pas le même. L’article 487 du Code pénal libanais inflige par exemple une peine plus douce à l’homme co-auteur s’il n’est pas marié au moment de l’acte, alors que cet allègement n’existe pas pour la femme co-auteur célibataire. 

Cette discrimination est alarmante et injuste. Il existe actuellement des groupes de pression tentent d’amender les lois discriminatoires et faire prévaloir les lois internationales sur celles locales. Le processus est lent, surtout avec la situation politique instable au Liban, qui fait que le parlement libanais ne se réunit pas assez pour améliorer ou radicalement changer les lois qui deviennent désuètes. 

Quels sont les droits féminins qui ont évolué dans le temps au Liban ?

Les différences et discriminations entre l’homme et la femme dans la législation libanaise découlent d’anciennes coutumes et traditions sociales et religieuses. Par exemple, dans les anciennes traditions, le mari était autorisé à commettre l’adultère pour la simple raison que c’est un homme, qui doit profiter de sa liberté et affirmer sa virilité auprès d’autres femmes que son épouse. Dans cette conception traditionnelle, l’adultère du mari est un phénomène normal puisque l’homme est différent de la femme du point de vue biologique. Il cède à son instinct sexuel qui lui donne le droit de satisfaire ses désirs en toute impunité. L’adultère de la femme serait en fait beaucoup plus grave. L’épouse étant le pilier de la famille, ses relations sexuelles extra-conjugales la porteraient à délaisser son mari et ses enfants et à amener le déshonneur sur sa famille et celle de son époux. Dans cette mentalité assez archaïque, la femme est supposée être un modèle de pudeur et d’honneur, qu’elle soit célibataire ou mariée.

Des études scientifiques, psychologiques et sociales ont néanmoins prouvé que la personne humaine répond aux valeurs reçues par l’éducation et l’entourage social, et non pas à l’instinct sexuel. 

D’où l’évolution des droits de la femme au Liban, le pays le plus occidentalisé et libéral du monde arabe, où beaucoup d’organisations militent pour l’égalité entre les femmes et les hommes. En effet, la mobilisation au niveau légal contre les violences faites aux femmes est née en 2007 dans les bureaux de l’organisation civile et laïque Kafa, fondée en 2005 pour lutter contre la violence et l’exploitation. En réunissant 63 autres ONG, les militants libanais ont pu écrire une proposition de loi, soumise au gouvernement en 2009. En 2011, le parlement forme un comité de neuf députés chargés de revoir le texte. Trois ans plus tard, après un nouvel examen en 2013, le 1er avril 2014, la loi concernant les violences domestiques est approuvée en seulement deux minutes. C’est ainsi que, depuis le vote historique de cette loi contre les violences domestiques, la situation s’est améliorée pour les Libanaises. 

Néanmoins, malgré le grand pas marqué par cette ratification, cette loi est quand même sujette à beaucoup de critiques et a encore besoin d’être plus ou moins réformée. En attendant de pouvoir l’améliorer, les associations travaillent sur le terrain, ainsi que sur les réseaux sociaux et dans les médias, afin d’informer au mieux les Libanaises de leurs nouveaux droits et des procédures associées.

Il reste quand même d’autres droits que la femme n’a pas encore obtenus. Ces droits incluent par exemple, la transmission de la nationalité à ses enfants : la femme mariée à un étranger ne peut lui transmettre sa nationalité libanaise, pas plus qu’aux enfants nés de cette union. Cette situation crée beaucoup de complications.

Peinture de Paul Guiragossian, Musée Sursock de Beyrouth

Si la femme n’est plus vierge, peut-elle encore se marier ? Si oui, pouvez-vous nous énoncer les conditions d’une femme dans le mariage libanais ?

Le Liban est un pays où la religion impose toujours ses règles de statut personnel. Ceci ne facilite pas les choses vu que la société libanaise comporte 18 communautés religieuses différentes, chacune ayant ses propres règles de statut personnel. La virginité de la femme était traditionnellement considérée comme religieusement sacrée et comme une condition préalable au mariage. Mais avec l’évolution des mœurs et l’ouverture concernant le droit des femmes, surtout dans les communautés chrétiennes, la virginité n’est actuellement plus vraiment une condition pour le mariage. 

La durée des études pour un même métier diffère-t-elle si on est un homme ou une femme ?

Non. Au niveau de l’éducation, les hommes et les femmes sont traités de manière équitable au Liban. 

Si une femme porte plainte pour des coups et blessures qui lui auraient été affligés par son père ou son mari, quelles sont les peines ou sentences encourues ? 

C’est la nouvelle loi libanaise sur la violence conjugale du 1er avril 2014, qui reconnaît enfin que les femmes victimes de mauvais traitements aux mains de leurs maris et de leurs familles ont besoin de protection et de recours juridiques. L’application de cette loi est aussi aidée par l’implication des juges. La plupart des juges prennent des décisions justes et équitables, notamment concernant la garde des enfants, qui sont souvent confiés à la mère dans le cas de violences de la part du père au-delà de l’âge de garde légal selon le système confessionnel. Les peines encourues sont celles du code pénal qui sont le paiement de dommages-intérêts et surtout l’emprisonnement. Ainsi, le premier jugement qui a été pris en vertu de la nouvelle loi a condamné un Libanais à neuf mois de prison ferme pour avoir battu sa femme. La nouvelle loi vise aussi à prévenir ces drames conjugaux au moyen de plusieurs mesures judiciaires de protection. Explicite et progressive dans son application selon les situations, cette loi porte à son actif, entre autres, l’institution au sein des Forces de sécurité intérieure d’un département spécialisé dans la lutte contre la violence domestique, incluant des femmes officiers, la désignation de juges (avocats généraux) affectés aux affaires familiales et la création d’une caisse pour secourir les victimes de la violence domestique. Elle permet ainsi d’offrir un soutien moral et matériel à la violentée, et lui assure l’orientation juridique, sociale ou psychologique, l’hébergement provisoire ou permanent, ainsi que l’assistance pour le règlement du conflit ou l’obtention d’une sentence judiciaire pour mettre fin aux menaces et éviter le pire.

Malheureusement, la peur du scandale est également responsable du silence entourant les femmes maltraitées et les victimes refusent souvent de dénoncer leurs maris. D’où le rôle essentiel de la société civile et des associations, qui participent grandement à la sensibilisation de la société libanaise et au réveil des femmes quant à leurs droits. 

L’enfant dans la société porte-t-il obligatoirement le nom de son père ou peut-il porter le nom des deux parents ou de la mère seulement ? 

La société libanaise est une société patriarcale où les enfants suivent légalement le père. Ils portent ainsi obligatoirement son nom dès la naissance, et suivent sa religion (jusqu’à l’âge majeur). 

Lors d’un divorce, les enfants partent-ils avec le père ou la mère ? Ou bien font-ils la garde partagée ?

De manière générale, la tutelle des enfants appartient au père dans toutes les communautés (à l’exception de la communauté israélite). De cette reconnaissance exclusive découle l’impossibilité pour une mère d’ouvrir un compte bancaire à ses enfants, même si c’est elle seule qui y contribue financièrement ; la nécessité d’obtenir l’autorisation du père préalablement au voyage des enfants, y compris avec la mère ; l’autorisation du père préalable à la demande d’un passeport... En cas de divorce, ce sont les lois religieuses qui sont appliquées. Ces lois confirment en principe la tutelle du père sauf lorsque les enfants sont jeunes (normalement moins de 7 ans, l’âge de garde légal). Dans ce cas, ils restent avec leur mère jusqu’à dépasser cet âge.

Néanmoins, les tribunaux religieux qui vont prononcer le divorce ont la possibilité de prendre en compte la situation familiale globale et l’intérêt des enfants avant de décider qui aura leur garde. En cas de mariage civil (qui est reconnu au Liban uniquement s’il a été conclu à l’étranger), ce sont les lois du pays où il a été conclu qui seront applicables.

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