La blouse roumaine se frotte à la haute couture

Publié le 16 mars 2019

Andreea TANASESCU est la présidente de l’association la Blouse roumaine. Elle répond aux questions des globe-reporters Émilie, Chloé et Steffy du lycée Arago, à Perpignan.

CULTURE ET FRANCOPHONIE

Pour cette interview sur la mode, les globe-reporters souhaitaient interviewer Bihor couture. Ce projet d’une agence de publicité a été lancé après une vague de protestations contre la maison Dior, accusée d’avoir copié une veste traditionnelle roumaine dans une de ses collections, sans même mentionner la source.

Dans un premier temps, Élodie contacte donc Bihor couture. Mais la personne en charge du projet est anglophone. L’envoyée spéciale essaye donc de trouver quelqu’un d’autre, qui puisse répondre en français sur le sujet. Elle décide d’élargir les recherches et de trouver quelqu’un qui travaille au carrefour de la mode et des traditions.

Elle demande conseil à My Romanian store, une boutique de créateurs et d’artisans roumains traditionnels. La patronne du magasin l’oriente vers Andreea TANASESCU, la fondatrice du mouvement la Blouse roumaine. Très actif sur les réseaux sociaux, sa page Facebook compte 200.000 abonnés. Son nom vient d’un tableau d’Henri Matisse. La Blouse roumaine ne crée pas de vêtements. C’est une association qui essaye de créer des connexions entre les artisans et l’industrie de la mode, pour préserver les traditions textiles. Notre envoyée spéciale adapte donc un peu le questionnaire envoyé par les globe-reporters.

Les tentatives de rencontrer un francophone pour parler de ce sujet sont vaines. L’interview avec Andreea se déroule en anglais, dans un café.

Pouvez-vous vous présenter ?

Mon nom est Andreea Tanasescu et je suis la fondatrice du mouvement la Blouse roumaine.

Au début, en 2012, c’était juste une page Facebook, qui faisait partie d’un projet plus important, sur la connaissance des traditions. Ce n’était pas un mouvement qui défendait quelque chose, il appelait juste les Roumains à prendre conscience de la valeur de leurs traditions et à les protéger. Les gens ne portaient même pas de blouse roumaine, à l’époque. Petit à petit, ils ont réalisé la qualité de notre artisanat, la nécessité de le préserver et d’aider les artisans à transmettre ce savoir-faire aux générations suivantes.

Nous souhaitons créer des connexions entre l’industrie de la mode et l’artisanat textile. Nous travaillons actuellement à la publication d’un magazine qui présentera les moyens par lesquels ils peuvent collaborer. Aujourd’hui, c’est un peu l’antagonisme : il y a les artisans d’un côté, le monde de la mode de l’autre.

On travaille aussi sur un projet pour introduire l’artisanat dans les écoles, partout en Roumanie, et sur un projet de Journée de la mode culturelle, pour faire prendre conscience partout dans le monde de l’importance du textile traditionnel et pour pousser l’industrie de la mode à travailler avec.

Question bonus : Quelles sont les caractéristiques de la blouse roumaine ?

La blouse roumaine, qu’on appelle « ia » en roumain, ressemble à d’autres blouses, mais elle a une structure très spécifique. L’épaule est très articulée, avec une structure similaire à celle des oiseaux. C’est pourquoi, quand tu ouvres les bras, avec une blouse roumaine, c’est comme si tu avais des ailes.

La technique de broderie est la principale différence entre les différentes blouses du sud-est de l’Europe. C’est de l’art pur.

Que s’est-il passé avec Dior ?

Avant Dior, il y a eu Tory BURCH, une styliste américaine qui a copié-collé un manteau roumain exposé au Metropolitan Musem of art, à New York, pour l’inclure dans une de ses collections, en le présentant comme d’inspiration africaine. On a publié une lettre sur notre page Facebook, demandant à Tory BURCH de reconnaître l’origine de sa création. La lettre est devenue virale, elle a reçu des milliers de likes et finalement l’information a été reprise par une agence internationale. La marque a fini par reconnaître sur Facebook s’être inspiré d’un vêtement roumain. 

Dans les jours suivants, quelqu’un m’a écrit en me disant que Tory BURCH n’était pas le seul à faire du plagiat, il y avait aussi une veste de Dior. C’était un Roumain qui habitait à Singapour, mais qui était originaire de la région d’où la veste a été copiée, Bihor. Il a juxtaposé l’image de cette veste exposée au Musée ethnographique de Transylvanie, et celle de Dior. J’ai posté cette image sur notre page Facebook et on a créé le hashtag #BihorNotDior. On a eu des millions de vues sur ce post. La campagne a eu beaucoup de succès parce que, depuis 2012, notre communauté a appris à donner de la valeur à ces traditions. Elle était préparée à promouvoir le message à travers le monde.

Ce genre d’histoires ne se résume pas à Bihor et Dior, ça se passe partout dans le monde, avec l’industrie de la mode. Certains disent que c’est une bonne chose, car sinon ces savoir-faire artisanaux mourraient. Je suis totalement d’accord avec l’idée de connecter la mode et le monde artisanal, mais il faut le faire correctement. C’était très simple pour Dior de créditer l’origine, de dire que c’était une veste roumaine et pas « bohémienne », comme ils la présentaient. Car ce n’était pas juste une inspiration, c’était une pure copie. Mais Dior n’a jamais reconnu, ni même répondu.

Créez-vous des vêtements ? Si oui, comment trouvez-vous l’inspiration ?

On ne veut pas être créateurs de vêtements. On veut être un mouvement, une plate-forme où les artisans rencontrent les stylistes, où les savoir-faire rencontrent la nouvelle génération. Notre but est de préserver et organiser ces savoir-faire dans un système durable.

Nous travaillons à la création de cette plate-forme. Déjà, une styliste américaine nous a demandé de la mettre en contact avec des artisans. Elle vient fin mars pour rencontrer des artisans de Transylvanie et commencer à travailler ensemble sur une collection, la première soutenue par la Blouse roumaine. Ce n’est pas la nôtre, on ne fait que promouvoir cette façon de travailler : impliquer la communauté, demander la permission de s’inspirer, donner quelque chose en retour... C’est ce qu’on appelle la mode éthique.

Qu’avez-vous modifié par rapport aux tenues traditionnelles roumaines Vous en inspirez-vous ?

C’est l’un de nos buts : renseigner sur la façon dont il est possible de s’inspirer de la culture traditionnelle. D’abord, il faut demander la permission : à un musée, une communauté... Puis il faut s’informer, lire. On peut prendre ce qu’on veut parmi les motifs traditionnels, mais il faut s’assurer que les modifications apportées ne soient pas offensantes pour les communautés, car cela peut signifier beaucoup pour elles, ça peut être sacré. La marque Victoria’s secret, par exemple, a choqué les Amérindiens, en utilisant une coiffe indienne lors d’un défilé. Pour les Amérindiens, ces coiffes ont un sens religieux.

Dans la blouse roumaine, la partie haute, qui s’appelle l’altita, est la plus importante. Autrefois, c’était considéré comme la connexion entre les femmes et l’au-delà. Dans certains villages, quand une femme mourait, on coupait cette partie de sa blouse et on l’accrochait à la maison, pour que son âme sache comment revenir.

Comment avez-vous choisi vos partenaires ?

Dès le début, j’ai souhaité recommander aux stylistes des communautés. Mais ça s’est avéré très difficile, car elles sont réticentes. Beaucoup de promesses leur ont été faites par le passé, des gens sont venus dans les villages pour dire qu’ils allaient mettre des choses en place et rien ne s’est concrétisé, ça a créé de la colère.

On a donc d’abord sélectionné des communautés sérieuses puis, avec leur aide, on a demandé à d’autres communautés de suivre leur modèle. La communauté avec laquelle on travaille aujourd’hui est un mélange entre rural et urbain. Car, grâce à notre mouvement, beaucoup de femmes ont créé leur propre petit réseau via Facebook, elles découvrent comment se reconnecter avec les artisans des villages, elles prennent des modèles de blouses exposées dans des musées et les reproduisent. On sélectionne des gens parmi ces petites communautés et des artisans dans les villages, on les réunit pour collaborer.

La styliste américaine travaillera par exemple avec une communauté de Transylvanie, elles élaboreront ensemble le design. Elle ne vient pas dire quoi faire aux artisanes, on les encourage plutôt à être créatives, à moderniser la blouse roumaine. Sinon c’est juste de la sous-traitance, un boulot mécanique qui peut être fait par des robots. Or, la blouse roumaine est le symbole de notre créativité, on ne peut pas demander à ces femmes de se contenter de coudre. Il faut les impliquer dans le processus, dialoguer avec elles.

Pensez-vous avoir une grande influence, une grande popularité en Roumanie ? Dans le monde ?

Je ne sais pas, peut-être. Mon but n’est pas la popularité, c’est de changer le système, de faire la connexion entre l’industrie de la mode et les artisans traditionnels. Pas seulement en Roumanie, partout dans le monde. Parce que c’est une grande valeur pour l’industrie de la mode. Les artisans préservent des compétences incroyables, or on sait que ces compétences disparaissent. L’industrie de la mode ne devrait pas les enfoncer davantage, mais s’engager d’une manière respectueuse et éthique à leurs côtés. C’est de cette façon qu’elle peut obtenir des résultats incroyables.

Un dernier mot ?

Le 22 juin 2019, nous voulons célébrer pour la première fois la Journée de la mode culturelle, partout dans le monde, pour célébrer ces textiles comme un héritage de l’humanité. On va promouvoir cette idée du Mexique à l’Afrique, en passant par l’Inde. Donc mon message aux globe-reporters est : célébrez avec nous la broderie française et tout ce que votre pays a donné à l’art textile.

Sources photographiques

Andreea TANASESCU déploie une blouse roumaine : lorsqu’on lève les bras, on dirait des ailes.
Andreea TANASESCU déploie une blouse roumaine : lorsqu’on lève les bras, on dirait des ailes.
Un autre modèle de blouse roumaine.
Un autre modèle de blouse roumaine.
Gros plan sur les motifs.
Gros plan sur les motifs.
Gros plan sur les motifs.
Gros plan sur les motifs.
Ce motif bleu et noir a été inventé par une aïeule d’Andreea TANASESCU.
Ce motif bleu et noir a été inventé par une aïeule d’Andreea TANASESCU.
Andreea TANASESCU déploie une blouse roumaine : lorsqu’on lève les bras, on dirait des ailes.
Un autre modèle de blouse roumaine.
Gros plan sur les motifs.
Gros plan sur les motifs.
Ce motif bleu et noir a été inventé par une aïeule d’Andreea TANASESCU.

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Les partenaires de la campagne

  • 04 CLEMI
  • Fondation SNCF
  • Institut français de Roumanie